En 2010, j'ai eu l'occasion de voyager à travers le continent sud-américain, pour le compte de la fondation VYACE (Vivir Y Amar Con Esperanza). Il s'agissait de mon premier voyage là-bas, je ne parlais pas espagnol, tout m'y était surprenant, différent. J'ai eu envie d'y rester au-delà du terme de mon voyage, puis j'y ai rencontré la personne qui partage actuellement ma vie.

Ce livre se compose de deux types de photographies de rue, les portraits et les décors. Pour ces derniers, il est parfois délicat de dissocier les différents plans de la photographie et d'identifier un ou plusieur sujet. C'est qu'il me semble que la photographie forme un tout quel que soit le plan proposé ou ce que montre la vision humaine de ces images dans un espace à trois dimensions. 

L'univers urbain est mon terrain de jeu, d'expérimentation. Dans chacune des villes que je traverse les itinéraires sont variés,  même s'ils partent à chaque fois de leur centre historique pour se diriger vers la périphérie. Trois  étapes dans mon voyage : Buenos Aires ville d'entrée sur le continent et passage obligé avant d'aller travailler, pour le Fondation VYACE, à la frontière bolivienne.São Paulo, où se tenait la Biennale 2010 de l'Art Contemporain. Le Mexique et son prolongement vers le sud, le Guatemala, lors d'une escapade privée.


Comme pour beaucoup de photographes de rue, le choix du moment de la composition autour du sujet génère en moi un stress, mélange de peur et d'excitation incontournable dés lors qu' il s'agit de travailler avec de l'humain, élément constitutif et central de la ville qui l'entoure. L'instant de la photographie est un temps particulier, décidé,égoïste et assumé.

Avant d'établir la série définitive de cette exposition, j'ai pris près de 10000 photos réparties sur environ 100 jours de prise de vues.

Les humains qui y apparaissent ont rarement eu conscience de ce qui se passait. Qu'ils devenaient, de mon propre choix, sujets d'un cliché. Ils sont entrés dans le cadre au moment où ... Certains regardent l'objectif, d'autres non, inconscients ou conscients, indifférents ou entrant dans mon jeu . Neuf fois sur dix, il n'y a eu pas de réaction du sujet choisi après le réflexe photographique. Je suis conscient de courir le risque de déranger. De m'immiscer dans des histoires, des parcours qui ne sont pas les miens. 

Je ne suis pas entré en contact avec mon sujet à chaque prise de vue. Lorsque ce contact a eu lieu, ce sont les sujets qui sont venus à moi. J'ai déclenché, et j'ai du assumer le risque de l'avoir fait. Risque de ce que mon geste pouvait entraîner comme déplaisir chez l'autre. Risque de faire naître de la souffrance ou de l'agressivité. A moi d'y faire face, d'expliquer ma démarche et mes buts, de rassurer, d'amener le sujet malgré lui à devenir acteur conscient, bien qu'a posteriori, de la création.

Déranger sur le moment et déranger après coup, la photographie est ainsi faite.

Je cherche la manière de rendre compte de ce qui fait corps avec l'espace urbain et d'essayer de le sublimer afin que le quotidien devienne un moment unique, presque un événement. La démarche d'un photographe de rue est particulière : il est un voleur (et collectionneur) d'âmes anonymes, un documentariste méticuleux, un rapporteur d'instants de vie ... un témoin.


Dans une déambulation chacun de nous voit surgir un point de vue différent à chaque instant. 

C'est le regard qui décide du moment où se déclenche la formation de l'image que l'on veut prendre.

À ceux pour qui la photographie ainsi prise peut être considérée comme un viol (d'un moment de quiétude, d'introspection, de pensées, un moment personnel ou partagé avec d'autres intimes anonymes), je réponds difficilement que je me fais mon propre jugement, sur ce que je peux ou m'interdis de prendre et de montrer.

Richard Melka

EXPOSITION